La Gauche en Europe et en France et l’écologie politique (3)

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« Le temps du monde fini commence »

Paul Valéry, Regards sur le monde actuel, 1931

Pour produire […] des combustibles minéraux combien n’ a-t-il fallu de végétaux accumulés et très accidentellement préservés de la combustion dans les temps géologiques ; le jour où cet acide carbonique aura été restitué aux couches inférieures de l’ air par nos cheminées d’usines, quels changements […] ne manqueront pas d’ être réalisés peu à peu dans nos climats ?

Louis de Launay, « Les ressources en combustible du monde », revue La Nature 1914, p.238, cité par Christophe Bonneuil et Jean Baptiste Fressoz, « L’événement Anthropocène » , Le Seuil, Paris, p 244

Comment, dès lors, sortir de la contradiction dont les termes ont été précisés dans l’article précédent ?

En avançant et en défendant, comme l’ont déjà fait des partis verts, l’idée non pas d’une croissance fût-elle « verte » mais d’une réelle transition écologique, loin des demi-mesures voire des simulacres vers lesquels on semble s’acheminer, du moins en France. Idéalement non agressive et prédatrice pour l’environnement, et néanmoins créatrice d’emplois. cette stratégie politique paraît assurément, pour le moment, nécessaire, mais en aucun cas suffisante.

Nécessaire, à n’en pas douter, dans un monde où « la seule espèce humaine s’approprie près du tiers de la biomasse continentale, et consomme maintenant annuellement une fois et demie ce que la planète peut fournir sur un mode durable »i.

Nécessaire, parce que, s’agissant des énergies fossiles (et nommément du pétrole), la dépense d’énergie indispensable à l’extraction d’un baril de pétrole, exprimée en équivalent barils de pétrole brut, se chiffre actuellement à 1 baril dépensé pour obtenir 40 barils extraits sur un gisement terrestre en Arabie Saoudite, à 1 baril dépensé pour l’obtention de 10 à 15 barils extraits en extraction offshore, et à 1 baril dépensé pour 3 barils extraits à partir des sables asphaltiques, ceci alors que le pic d’extraction du pétrole « conventionnel » a été atteint en 2006.

Non suffisante toutefois, car en aucun cas le déclin inéluctable de la part de sources d’énergies fournies par les hydrocarbures, même partiellement remplacées par des sources d’énergie renouvelables, ne permettra en aucun cas le maintienii de la consommation actuelle d’énergie par habitant dans les pays riches et donc un niveau de vie et un mode de consommation inchangé, ou seulement très légèrement modifié ; et ceci en dépit d’innovations  dans l’isolation de l’habitat, de l’avènement d’une économie dématérialisée, et de la production d’énergie renouvelable.

Pourquoi ces progrès techniques s’avéreraient-ils d’une portée limitée ? Pour nous borner à quelques exemples

– En ce qui concerne l’isolation des bâtiments, et l’optimisation de la consommation énergétique par les innovations en domotique, les solutions techniques préconisées sont consommatrices de ressources en métaux rares iii

– En dépit du mirage du « zéro papier » l’économie « dématérialisée » de l’information et sa cohorte de serveurs entraîne des consommations d’électricité importantes.

– Les éoliennes actuelles ont une durée de vie de trente ans au mieux et l’installation d’une éolienne implique une consommation « d’acier, de ciment, de résines polyuréthanes, de terres rares et de cuivre »iv

On le voit, cette stratégie de la transition même n’a de pertinence et d’intérêt qu’à condition de dissiper les confusions qu’ elle peut nourrir.

Au plan politique, un splendide isolement pour les écologistes ?

En France, au plan national, la reprise en main du PS par les courants dominants beaucoup moins sociaux que libéraux, sous la houlette de l’Elysée v , laisse d’ores et déjà très mal augurer d’une alliance qui prend de plus en plus des airs de vassalisation pure et simple des écologistes vis-à -vis de la direction socialiste, ceux-ci ne servant plus, au mieux, que de caution verte au gouvernement.

En Allemagne, comme en Belgique les verts sont déjà hors des grandes coalitions parlementaires au pouvoir au niveau fédéral.

Le non-retour de la croissance, contrairement aux annonces, alimente un désespoir et une rage impuissante de plus en plus accentués chez des citoyens qui se sentent exclus (comme les 50 % des revenus les plus modestes), ou menacés de l’être (comme les 40 % des revenus intermédiaires). On l’a constaté maintes fois, des hommes ou femmes « providentiels » font déjà leur fond de commerce électoral de la volonté de renouer avec un simulacre de croissance, à n’importe quel prix : renoncement à des acquis démocratiques, renforcement du culte de l’autorité, mesures xénophobes.

L’écologie dans son expression politique est effectivement, pour l’instant la seule mouvance à mettre en question et à tenter de penser la notion même de croissance. Pour autant, cette situation doit-elle confiner l’écologie politique aux marges, où elle serait peu efficace?

Dans ces conditions, avec la claire conscience de n’avoir plus grand chose à attendre de politiques d’alliance au niveau national, il ne resterait apparemment aux principaux partis écologistes qu’à recentrer l’ensemble de leur action sur ce qui fait leur spécificité.

En premier lieu, s’efforcer inlassablement de rendre plus intelligibles par le public leurs positions sur la croissance (pour les raisons évoquées plus haut), sur les urgences environnementales et énergétiques multiples (locales et globales), sur l’Europe, et sur les répercussions sur le quotidien des citoyens d’enjeux très peu évoqués par les médias comme le Pacte Transatlantique. Élargir donc leur audience propre en faisant le pari de la maturité des citoyens.

En deuxième lieu et parallèlement à cet effort, en France, au niveau local, départemental voire régional, être ouverts, sans exclusive (sauf vis à vis de l’extrême droite), à toutes les convergences possibles (ponctuelles ou plus durables), avec d’autres formations. En Allemagne, par exemple, les Grünen au niveau des Länder, (là où ils participent aux gouvernements régionaux) sont généralement, mais pas exclusivement, alliés au SPD. En Hesse, ils gouvernent même avec les chrétiens-démocrates de la CDU.

Quoi qu’il en soit, l’urgence commande de dénoncer et ne plus soutenir à bout de bras une économie qui, comme le dit Hannah Arendt dans ” La condition de l’homme moderne”, « est devenue une économie de gaspillage dans laquelle il faut que les choses soient dévorées ou jetées presque aussi vite qu’elles apparaissent dans le monde pour que le processus lui-même ne subisse pas un arrêt catastrophique ».

i Christophe Bonneuil et Jean Baptiste Fressoz, « L’événement Anthropocène » , Le Seuil, Paris, p.23

iiLe terme « transition » n’est pas exempt d’ambiguïté. On pourrait l’ imaginer comme un simple basculement vers les énergies renouvelables, toutes choses égales par ailleurs.

iii On pourra se référer à l’ouvrage de Philippe Bihouix « L’âge des low-tech », Le Seuil, Paris, p.72

iv Op.Cit p.77

v Dont la nomination récente de Mme Boone et de M. Macron à des postes de responsabilité respectivement au sein de l’équipe des conseillers de l’Elysée et au gouvernement, sont des exemples très clairs du retour chez les sociaux-démocrates, déjà évoqué dans le premier article, d’une “une vision du monde progressiste qui est celle de la gauche parlementaire libérale et bourgeoise (dans laquelle le socialisme ne se reconnaissait pas avant la fin du XIXe siècle)”(cf.Christophe Bonneuil et Jean Baptiste Fressoz, « L’événement Anthropocène » p.265)

 

 

 

 

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One thought on “La Gauche en Europe et en France et l’écologie politique (3)

  1. Marguerite Bergemer

    Tout est clairement dit . Maintenant il faut vraiment souhaiter que les politiques arrêtent de promettre la fameuse croissance et nous amènent à une décroissance heureuse!

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