Ecologie, élections et populisme

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La pensée écologique, seule alternative au populisme dans quelques années en Europe?

Il y a moins de différence entre deux députés  dont l’ un est révolutionnaire et l’autre ne l’est pas, qu’entre deux révolutionnaires  dont l’un est député et l’autre ne l’est pas.

Robert de Jouvenel, la République des camarades, 1914

Les deux dimensions de l’action politique des partis traditionnels :

Elles peuvent, il me semble, se définir comme suit :

Celle de l’espace politique (et médiatique) que l’ on cherche à occuper.

Celle des places à prendre, enjeu de chaque élection.

La première  phase est habituellement celle des contenus et des promesses, de la communication destinée à des citoyens-cibles (au sens que le marketing électoral donne à ce terme), qui sont autant d’électeurs potentiels supposés (1) éprouver tel ou tel sentiment, être guidés par telle ou telle logique. Ceux-ci viennent constituer ainsi un fonds de commerce électoral plus ou moins organisé par les prescripteurs d’opinion médiatiques, et auquel on s’adresse dans les discours et les interviews, pour lequel on distille petites phrases et promesses, soigneusement choisies dans leur forme comme leur “timing”  par les directeurs de campagne.

Dans la deuxième phase, c’est du retour sur investissement qu’il s’agit. Il se comptabilise, le soir des élections, en nombre de voix obtenues, en pourcentage. Il s’agit là du dividende espéré par le politique professionnel. C’est une évidence: en fonction de ce résultat vont pouvoir s’ouvrir les négociations entre appareils (et donc entre apparatchiks) pour les places mises en jeu : on passe ainsi aux “choses sérieuses”. Une page est tournée, celle de la campagne électorale ; c’est celle sur laquelle étaient écrites les promesses, qui n’engagent personne et surtout pas l’homme (ou, plus rarement, la femme) politique qui les a faites. Pour les vainqueurs, ils accèdent aux affaires et l’on doit comprendre que celles-ci imposent une politique, des choix, qui n’ont qu’un rapport vague avec les discours électoraux de la phase précédente.

C’est la petite musique de la “Realpolitik”. La même qu’en 1512,  année où Machiavel, rédigeant le Prince, pourtant dans un contexte institutionnel bien différent, écrit au sujet du Pape Alexandre VI Borgia  : ” Jamais ne fut homme qui eût plus grande efficace quand il donnait des assurances et qui affirmât une chose avec plus grands serments, mais qui moins l’observât […] Il n’est donc pas nécessaire à un prince d’ avoir toutes les qualités dessus nommées, mais bien il faut qu’il paraisse les avoir“(2). Politique et art de la persuasion vont plus que jamais de pair, et, et en dépit de l’intégrité personnelle de tel ou tel homme politique, le “parler vrai” devient ainsi le comble du paraître vrai, donc du faux-semblant.

La dynamique décrite plus haut et qu’on retrouve aussi bien dans tous les appareils de partis dits de “droite” comme de “gauche”, a été puissamment accélérée (surtout à gauche) après le délitement et la chute du bloc soviétique, donc à partir de 1989-1990.

A Gauche :

En effet, en France la gauche, et notamment son protagoniste hégémonique le PS, a renoué, consciemment ou sans se l’ avouer et surtout sans l’avouer, comme déjà indiqué dans les articles précédents de ce blog, avec le libéralisme républicain de la bourgeoisie radicale de la fin du XIXe, tout en conservant quand il le faut, c’est à dire en phase pré-électorale, une phraséologie à coloration idéologique “socialiste” et plus ou moins “anti-libérale” destinée à l’électorat. Ces thèmes constituent la matière première des promesses et le tissu de discours, tel celui du Bourget du candidat Hollande, discours dont Jean-Claude Michéa dit dans “La gauche et le peuple” ( écrit avec Jacques Julliard)  : “On mesure tout le travail de réécriture idéologique ( ou même parfois de pure et simple falsification) qui aura donc été nécessaire pour qu’un François Hollande , un Dominique Strauss-Kahn, un Pierre Bergé, un Jérôme Cahuzac ou un Pascal Lamy puissent un jour se présenter, toute honte bue et sans susciter le moindre éclat de rire comme les descendants directs – puisque officiellement de “gauche”- des martyrs de la Commune de 1871“(3). L’idéologie anti-libérale intervient ici, on l’aura compris, dans un rôle de pur trompe-l’œil.

Qu’ en est-il des adversaires de la gauche PS?

– Les partis “traditionnels” de centre et de droite ont l’avantage de s’être toujours peu ou prou réclamés d’un plus petit commun dénominateur libéral (respect de la propriété privée des moyens de production etc.). Même si la plupart d’entre eux affectent encore de défendre des “valeurs traditionnelles” (4), leur conversion de fait à l’ultra-libéralisme et à la dérégulation les plus modernes et décomplexés (avec Thatcher Reagan et consorts) s’est  faite plus rapidement et a nécessité une moindre dose de mystification ou de mensonge. A peu de frais, ils peuvent apparaître comme moins porteurs de “contradictions” (5) déchirantes  que le PS.

Last but not least : le populisme ( pour simplifier, en France, le FN et, très accessoirement, le Front de Gauche) tentent, avec un certain succès, de se nourrir du “terrible sentiment d’ abandon qui s’est aujourd’hui emparé, […] de toutes les classes populaires“(6), en les disputant (ou en les arrachant) à l’abstention grâce à l’insistance sur un discours à tonalité sociale émanant d’un Leader charismatique  sur le thème du “je vous ai compris”.

Délégation Vs participation

Dans ces conditions, soit une majorité d’électeurs, ne sachant plus à quel saint se vouer, est prête à donner un blanc-seing au personnel politique populiste, lui-même conduit par ce Leader providentiel, soit un autre choix existe : non pas celui des partis traditionnels, dont les pratiques de pouvoir  paraissent engluées dans le clientélisme, et la “cuisine politique” au jour le jour, mais celui que proposerait une écologie politique dont la pierre angulaire serait une démocratie locale basée sur l’implication et la participation au sens plein de nombreux citoyens, et qui pourrait d’ailleurs reposer en partie sur l’ utilisation d’outils numériques (à l’instar d’une ville comme Loos en Gohelle).

La  délégation complète de pouvoir au Leader

Le populisme part du constat que ce que le géographe Christophe Guilluy appelle les classes populaires autochtones ( on entend par là des personnes dont les deux parents sont nés en France) ou d’immigration ancienne ( provenant de pays européens) ont été peu à peu frappées d’ invisibilité politique (7) et par conséquent médiatique et culturelle. Ce mouvement politique a visé à les réintroduire dans un récit, un discours, une rhétorique qui, en en faisant des victimes, les valorise (8), voire les héroïse. Ainsi le Front National, en la personne de son Leader, apporte, à ces ” petites gens” un discours ” clefs en mains” construit de façon à jouer sur une corde sensible, dans une situation de malaise et d’insécurité sociale bien réels, afin d’obtenir par le vote une délégation massive (un abandon) de souveraineté au profit du parti populiste. Un renonciation de plus pour ce groupe social populaire, et qui se ferait, de façon tout à fait classique ( on est très loin là d’une révolution), dans le cadre du présidentialisme fort de la Ve République. Avec le risque que le régime soit peut-être encore durci par une dérive institutionnelle à la  Poutine, dans le but de rendre toute alternance quasiment impossible. Au total, pour reprendre l’ expression de l’historien belge David Van Reybrouck dans son ouvrage “Contre les élections”  : “Les populistes sont des entrepreneurs politiques qui s’efforcent de conquérir la plus grosse part de marché possible”(9).

Une voie exigeante et non balisée : la démocratie participative.

Pour suivre ce chemin, il conviendrait qu’au lieu d’attendre sans fin un hypothétique changement de ligne, et de pratique, de leur allié principal et même hégémonique, à savoir le PS, les écologistes aillent à l’ écoute et au contact de la population comme cela s’est produit lors de campagnes des dernières municipales à Grenoble. Ils ne renieraient rien de leurs idées propres notamment sur l’ environnement et la transition écologique, mais ne prétendraient pas, pour autant, apporter une bonne parole, un ensemble de convictions  à laquelle leurs auditeurs seraient plus ou moins priés de se convertir.

On comprend facilement que cette voie se situe aux antipodes de la production d’un récit  “rassembleur”  ou “créateur de consensus” décrite précédemment. Il s’ agit ici rien moins que d’une rupture totale avec la dualité évoquée plus haut, à savoir :

  • récit et promesse élaborée par les communicateurs d’un candidat, construits à partir d'”éléments de langage” qu’on pense appropriés,  d’ une part 
  • répartition des places en jeu dans l’ élection, d’autre part.

En effet, dans cette démarche participative, les citoyens, au lieu d’être des auditeurs passifs et plus ou moins attentifs d’un message, ou bien de se rêver protagonistes d’un récit incantatoire qui les réhabiliterait, sont invités à participer, autrement dit à devenir eux-mêmes producteurs ou créateurs d’un discours les concernant, après s’être appropriés volontairement des éléments d’information nécessaires. C’est là, beaucoup plus que dans un renforcement de la démocratie interne des partis politiques, que réside le véritable changement de paradigme, le “faire de la politique autrement” (pour reprendre un slogan quelque peu galvaudé), débouchant sur un “empowerment” (une autonomisation et une responsabilisation) du citoyen.  

Cette pratique est indiscutablement exigeante, aussi bien pour les militants politiques que pour les citoyens qui choisissent de s’y engager. En termes de temps passé comme d’ implication personnelle. Mais elle est tout à fait possible au plan local comme au plan national : il n’est que de songer aux multiples “Bürgerinitiativen” ( initiatives citoyennes) chez nos voisins allemands pour des problèmes d’intérêt local, et aux votations nationales (en clair les referendums d’origine citoyenne) en Suisse. La liste de ces pratiques participatives ne se limite pas, bien évidemment, à ces deux exemples. Au bout du compte, ces formes de démocratie participative ont l’inestimable avantage de renforcer la légitimité des décisions prises au terme du processus, et de susciter l’adhésion (ou du moins  l’acceptation) des citoyens.

Un tel choix trancherait nettement avec les habitudes de gestion du pouvoir local, et national par l’establishment  politique ” professionnel”.

Il serait toutefois nécessaire, mais pas suffisant. Nous reviendrons plus en détail sur ces points ultérieurement.

 

 (1) Sur la base de sondages d’opinion alimentant des études de toutes sortes

 (2) Machiavel, Le Prince, chap. XVIII,  édition Livre de poche, p 125

 (3) Jacques Julliard et Jean Claude Michéa, La Gauche et le Peuple, Flammarion, p 42

 (4) à titre d’exemple, la thématique de la “Manif pour tous”, instrumentalisée pour tenter de retrouver une audience.

 (5) Suivant le terme utilisé par Marion Robert, Conseillère Fédérale EELV, qui dénonce, par ailleurs, le caractère “illisible” de la politique du PS  : “…hallucinant de prétendre avoir un programme de rupture avec les politiques européennes passées, quand on a voté la baisse du budget Européen et mis en place les politiques d’austérité en France. “(cf http://marionrobert.blogspot.fr/ , article du 18 mai 2014).

 (6) Jacques Julliard et Jean Claude Michéa, La Gauche et le Peuple, Flammarion, p 29

 (7) Christophe Guilluy, Fractures françaises, Flammarion Champs, p 153

 (8) Marine Le Pen, dans son livre “Pour que vive la France” ne fait que reprendre cela, en page 17 : “Ces oubliés, ces invisibles, ces anonymes à qui l’on veut retirer toute identité, en leur imposant une immigration massive et déstabilisatrice, en les transformant en machines à consommer, obéissants, serviles face aux injonctions publicitaires ou commerciales des sociétés du CAC 40, je les porte dans mon cœur et je veux les aider à retrouver toute leur dignité.”

(9) David Van Reybrouck, Contre les élections, Babel, p 31